Ziaur Rahman (1997) è dottorando di ricerca in Global Studies & Innovation presso l’Università degli Studi Internazionali di Roma (UNINT), sotto la supervisione della Prof.ssa Stefania Cerrito. I suoi principali ambiti di studio e di ricerca sono la lingua e la (socio)linguistica francese, la francofonia nel mondo e in Asia, i flussi migratori provenienti dal subcontinente indiano (Bangladesh, Pakistan e India) e il livello linguistico e d’integrazione dei migranti di prima e seconda generazione. Il suo progetto di ricerca dottorale riguarda la presenza, la vitalità e le pratiche linguistiche di comunità parlanti bengali, hindi e urdu a Parigi e in Île-de-France. Da settembre 2024 a febbraio 2025 ha svolto un periodo di ricerca sul campo a Parigi presso il Centre d’études en sciences sociales sur les mondes africains, américains et asiatiques (CESSMA - Inalco, Université Paris Cité e IRD), sotto la supervisione della Prof.ssa Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky.
La colonisation française de la péninsule indochinoise a commencé en 1858 sous le Second Empire de Napoléon III, avec l’invasion de la Cochinchine, correspondant au sud de l’actuel Vietnam. Cette région a été annexée en 1862, suivie de l’établissement d’un protectorat en 1863 sur le Cambodge. Sous la Troisième République (1870 – 1940), la colonisation a repris à partir de 1883 au moment de l’expédition du Tonkin. Le résultat a été l’instauration de deux protectorats distincts sur le reste du Vietnam : le Tonkin et l’Annam, situés respectivement au nord et au centre du Vietnam. En ce qui concerne le Siam, qui signifie « pays libre » et qui n’a donc jamais été une colonie française, il a changé de nom en 1938 pour devenir la « Thaïlande ».
À partir de 1887, la France a commencé à centraliser l’administration de ses territoires et a créé l’Union indochinoise, qui est ensuite devenue la Fédération indochinoise. De surcroît, elle a instauré un protectorat sur le Laos en 1899. L’Indochine française comprenait ainsi les trois pays de l’Asie du Sud-Est qui sont aujourd’hui le Cambodge, le Laos et le Vietnam, en plus d’une partie du territoire chinois qui se trouvait dans l’actuelle province du Guangdong : le Kouang-Tchéou-Wan. Il s’agissait d’un petit territoire d’environ 1300 km² situé au sud de la Chine continentale, dans la péninsule de Leizhou, cédé par bail à la France en 1898, mais rétrocédé à la Chine en 1945.
La défaite française de 1940 a incontestablement bouleversé l’équilibre des forces au profit du Japon, qui avait envahi l’Indochine française en septembre 1940 et proclamé l’indépendance des trois pays en mars 1945. Le 19 décembre 1946, après une série d’affrontements, le Viet-Minh – une organisation politique et paramilitaire vietnamienne regroupant des nationalistes de toutes obédiences et visant à lutter pour l’unité et l’indépendance du Vietnam – a lancé une attaque sur le Tonkin, ce qui a marqué le début de la guerre d’Indochine (1946 – 1954). Après huit ans d’hostilités entre les forces françaises et le Viet-Minh de Hô Chi Minh, soutenu par la Chine communiste, les accords de Genève, signés le 20 juillet 1954, ont représenté une étape décisive dans le processus de décolonisation de la région asiatique, entamé depuis 1945.
Les dernières troupes françaises ont quitté la région en mai 1955. Pour les historiens, l’Indochine française a été un succès économique et l’un des piliers de la puissance mondiale de la France, notamment en Asie. Cependant, la colonisation française n’a jamais constitué un partenariat équitable avec les colonisés. En effet, le Cambodge, le Laos et le Vietnam ont connu de profondes mutations qui les ont rapprochés du monde occidental. En même temps, cette période coloniale a eu pour effet de développer leurs identités respectives. L’influence française a perduré pendant quelques décennies, avant d’être progressivement remplacée par l’influence américaine.
Le témoignage personnel d’une grand-mère a pour toile de fond cette histoire de l’Indochine française. Elle raconte son vécu au Vietnam, où elle est née alors que le pays était un protectorat français pendant la période du colonialisme en Indochine. Suite à l’invasion et à l’occupation japonaise de la région, elle a quitté le pays et est arrivée en France avec toute sa famille. Récemment, elle a voulu retourner au Vietnam avec sa petite-fille pour un voyage plein d’émotion et de nostalgie. L’entretien dans lequel elle intervient s’est tenu depuis Rome, en présence de sa petite-fille et par téléphone, alors que la grand-mère se trouvait en France. Cinq questions ont été posées à elle et une dernière à sa petite-fille dont la réponse se transformera en un dialogue entre les deux. Ci-dessous les questions et leurs réponses respectives.
- Questions adressées à la grand-mère :
Q1 : Pourriez-vous raconter votre petite enfance au Vietnam ?
R1 : Je suis née au Vietnam. En effet, j’étais une enfant et je suis venue [en France] avec mes parents parce qu’il y avait la guerre [référence à l’invasion et à l’occupation japonaise d’une partie de la région indochinoise française]. Lorsque les Japonais ont envahi le Vietnam, j’étais très petite : je devais avoir un an. Nous, les Français, nous étions gardés par les Japonais et ils nous ont assigné des résidences.
Q2 : Combien d’années avez-vous vécu dans ce pays ?
R2 : J’ai vécu au Vietnam depuis ma naissance jusqu’à mes 11 ans. Je suis partie du Vietnam quand j’avais cet âge-là parce qu’il y avait la guerre avec les Français. Ce n’était plus vivable. De toute façon, mes parents avaient compris et ils m’ont ramenée en France.
Q3 : Dans votre quotidien, parliez-vous uniquement en français ou aviez-vous recours à d’autres langues pour interagir et communiquer avec les personnes locales ?
R3 : Non, absolument pas. Vu que j’étais une enfant, je ne parlais qu’en français. En effet, j’étais dans une ville coloniale [francophone], à Saïgon en majorité, un peu à Hué et aussi quand même à Da Nang qu’on appelait Tourane à l’époque, où nous avions un hôtel aussi. Mes parents avaient des hôtels et on passait d’un endroit à l’autre, mais en restant le plus souvent à Saïgon [aujourd’hui Hô Chi Minh-Ville, l’ancienne capitale du Vietnam du Sud et la ville la plus peuplée du pays].
Q4 : D’après vous, dans quelle mesure la présence française, a-t-elle influencée le Vietnam d’un point de vue linguistique et culturel ?
R4 : Étant donné que je n’y ai pas vécu longtemps et j’étais petite, je ne saurais pas vraiment comment répondre à cette question.
Q5 : Quand avez-vous décidé de retourner au Vietnam et pourquoi ? Quels changements avez-vous constatés ? Quelles émotions avez-vous ressenties ?
R5 : J’avais envie depuis très longtemps d’aller voir le Vietnam parce que c’était le lieu de ma petite enfance. [Elle rit] En vérité je ris, mais j’ai ressenti quelque chose en effet, dans l’atmosphère, dans l’ambiance, voyant toutes ces personnes : ça m’a rappelé en effet ma petite enfance. En particulier, les femmes dans les rues – habillées selon la tradition locale – m’ont fait penser à ma nounou vietnamienne qui s’est occupée de moi depuis ma naissance jusqu’à ce que je quitte la maison de mes parents, quand j’avais 18 ans, parce qu’elle [la nounou] aussi, elle est venue en France avec nous.
- Question adressée à la petite-fille :
Q : Peux-tu raconter ton expérience au Vietnam ?
R : Moi, quand je suis allée au Vietnam, c’était le pays le plus lointain où je suis allée. Donc, c’était une expérience totalement déboussolante. On est arrivé à Saïgon et je me souviens que la chose qui m’a plus marquée quand on est sorti de la gare, c’était voir les épices qui séchaient sur la route. Le soir on a gouté des soupes incroyables avec tout en mélange d’ingrédients typiques. Une autre chose qui m’a marquée, c’était l’hôtel à Hué qu’autrefois appartenait à la famille de ma grand-mère et qu’aujourd’hui a été racheté par les Américains où il y avait le « M » du nom de famille de ma grand-mère en mosaïque dans le fond de la piscine : ça m’avait beaucoup marqué. Ainsi que de voir toutes les photos de la famille accrochées au mur des couloirs de cet hôtel. C’était marrant et bizarre aussi.
[La suite est un dialogue passionné entre la grand-mère et la petite-fille].
La grand-mère : Et le buste de mon oncle, le frère de mon père, qui était associé et qui gérait lui aussi les hôtels de la famille.
La petite-fille : Moi, ça m’a beaucoup marqué ce voyage.
La grand-mère : C’était beau et en vérité il aurait fallu qu’on y restait trois semaines ou un mois au moins pour pouvoir en profiter, pour avoir des moments.
La petite-fille : En effet, c’était court et puis on n’a pas vu la campagne et c’est ça qui était dommage.
La grand-mère : C’était trop rapide, c’est dommage.
La petite-fille : C’était quand même bizarre comme on est blanc, le rapport avec les gens, leur perception. Il y a toujours cette forme de néocolonialisme quand on balade.
La grand-mère : Le jeune homme qui était notre guide à un moment donné, lorsque je lui avais parlé, il a senti que je ne me sentais pas très bien à cause de cette histoire de colonialisme et il m’a dit : « Vous savez, Madame, c’est totalement oublié parce que maintenant, on ne regarde plus en arrière, on avance e on veut se développer ».
La petite-fille : On n’a pas eu des relations sincères avec les personnes locales à cause de la barrière linguistique. Malgré ça, c’était une expérience incroyable et j’étais hyper heureuse que ma grand-mère revive ces années-là, de son enfance.
La grand-mère : Vraiment, il y avait un souvenir qui est revenu grâce à ce voyage, quelque chose dans l’atmosphère, dans les images, dans les parfums, dans les odeurs. J’ai fait un retour en arrière très important parce que tout est revenu dans un seul coup et c’est un peu nostalgique. Je me suis souvenue du marché et de l’hôtel. En haut de la piscine, au dernier étage, c’était là qui se trouvait l’appartement et tout m’est revenu, les souvenirs sont revenus comme ça en effet. Et voilà, c’était bien ! Il fallait y rester plus longtemps.