Ziaur Rahman (1997) è dottorando di ricerca in Global Studies & Innovation presso l’Università degli Studi Internazionali di Roma (UNINT), sotto la supervisione della Prof.ssa Stefania Cerrito. I suoi principali ambiti di studio e di ricerca sono la lingua e la (socio)linguistica francese, la francofonia nel mondo e in Asia, i flussi migratori provenienti dal subcontinente indiano (Bangladesh, Pakistan e India) e il livello linguistico e d’integrazione dei migranti di prima e seconda generazione. Il suo progetto di ricerca dottorale riguarda la presenza, la vitalità e le pratiche linguistiche di comunità parlanti bengali, hindi e urdu a Parigi e in Île-de-France. Da settembre 2024 a febbraio 2025 ha svolto un periodo di ricerca sul campo a Parigi presso il Centre d’études en sciences sociales sur les mondes africains, américains et asiatiques (CESSMA - Inalco, Université Paris Cité e IRD), sotto la supervisione della Prof.ssa Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky.
C’est par hasard que plusieurs d’entre nous sommes francophones, c’est par choix que plusieurs autres le sont devenus et c’est par fascination que plusieurs voudraient l’être
Herménégilde Chiasson (Hommage à la langue française)
Parmi les 7000 langues existantes dans le monde, dont 90 % sont parlées par moins de 5 % de la population mondiale, plus de 2000 existent en Asie. Généralement, les locuteurs communiquent entre eux par l’intermédiaire d’une langue commune. Selon les linguistes, il y a ainsi douze langues dites « dominantes » qui sont – par ordre alphabétique – l’allemand, l’anglais, l’arabe, l’espagnol, le français, le hindi, le japonais, le malais, le mandarin, le portugais, le russe et le swahili. Parmi toutes ces langues, quel est le statut du français et quel rôle joue la langue de Molière dans le continent asiatique ?
Le français est sans aucun doute la langue des cinq continents et des trois océans, mais nous savons bien qu’il n’a pas la même diffusion partout dans le monde, ni ne jouit du même statut dans tous les pays, à savoir langue maternelle, langue nationale, langue officielle, langue d’enseignement, langue administrative, etc. Dans quelle mesure le français est-il donc une langue d’Asie, un continent qui représente plus de 60 % de la population mondiale sur 30 % des terres émergées de la planète ?
Avant de répondre à cette difficile question, il est important de définir ce que signifie « francophonie ». Le terme apparaît pour la première fois au XIXe siècle, en 1880 plus précisément, lorsque le géographe français Onésime Reclus (1837-1916), dans son livre La France, l’Algérie et les colonies, classe les habitants de la planète en fonction de la langue et il invente le terme « francophonie » pour désigner en particulier les populations qui parlent français. Ce terme provient manifestement du mot « français », mais c’est seulement à partir de 1930 que l’adjectif « francophone » apparaît régulièrement dans les dictionnaires. Par la suite, il a été quasiment oublié et le terme « francité » lui a été préféré. Ce dernier indique l’ensemble des caractéristiques de ce qui est reconnu comme français et donc l’ensemble des caractères propres à la civilisation française. Le mot « francophonie » réapparaît dans les années soixante, en même temps que la décolonisation se développe. En particulier, en 1962, un article de Léopold Sédar Senghor – premier Président du Sénégal – publié dans un numéro spécial de la revue « Esprit » et consacré à la place du français dans le monde, propose à nouveau ce terme.
La francophonie, ou espace francophone, désigne donc l’ensemble des personnes et des institutions qui utilisent le français, que ce soit en tant que langue maternelle (première langue apprise par l’enfant) ; langue officielle, langue d’enseignement ou langue administrative (employée dans la vie publique) ; langue d’usage (utilisée dans la vie de tous les jours). Est donc francophone toute personne ou institution employant le français, que ce soit partiellement ou majoritairement. Par conséquent, la francophonie, ce sont tout d’abord des femmes et des hommes qui partagent une langue commune : le français. Il s’agit d’une « langue-monde », non pas la plus parlée, mais la plus répandue et la plus enseignée après l’anglais. Le dernier rapport de l’Observatoire de la langue française, publié en 2022, estime leur nombre à 321 millions de locuteurs répartis sur les cinq continents et les trois océans. Nous parlons de francophonie avec un « f » minuscule pour désigner les locuteurs de français et de Francophonie avec un « F » majuscule pour se référer au dispositif institutionnel encadrant les relations entre les pays francophones : l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).
Les trois termes « francophonie », « Francophonie » et « espace francophone » sont souvent considérés synonymes et interchangeables, mais ils sont en réalité complémentaires. Comme précisé ci-dessus, le premier désigne l’ensemble des populations qui utilisent le français à différents degrés ; le deuxième indique le regroupement des États et gouvernements pour définir les programmes et les orientations de l’OIF ; le troisième fait référence aux régions ou aires géographiques où le français s’est historiquement implanté. Il est très important et en même temps curieux et intéressant de savoir que toute la « Francophonie » ne se retrouve pas dans la « francophonie ». En effet, on distingue entre « francophonie réelle » et « francophonie institutionnelle ». La première concerne tous les pays qui partagent une langue commune, à savoir le français, tandis que la seconde englobe tous États faisant partie de l’OIF, à titre de membres de plein droit, membres associés ou membres observateurs. Un cas exemplaire est celui de l’Algérie, pays francophone, qui n’adhère pas à l’OIF ou de l’Égypte qui, bien qu’il n’ait pas une longue tradition française ou francophone, est membre de l’OIF.
Pour en revenir à l’Asie, parmi les langues les plus parlées dans ce continent, il y a le mandarin, le hindi, l’anglais, le russe, l’arabe, même le bengali. Comme nous pouvons constater, la cinquième langue la plus parlée au monde – avec 321 millions de locuteurs, dont 255 millions en font un usage quotidien – ne figure pas dans cette liste. En effet, le français est surtout une langue étrangère, une langue d’enseignement et finalement une langue d’études en Asie. Dans ce contexte, le Liban – ancien protectorat français entre 1923 et 1943 – constitue une exception puisqu’il s’agit du pays asiatique où le français est le plus répandu. De surcroît, selon la Constitution libanaise (Chapitre II, article 11) le français a le potentiel d’être une langue officielle du pays, à côté de l’arabe, mais une loi spéciale qui « déterminera les cas où il sera fait usage de la langue française » devrait être adoptée. De toute façon, le français reste une langue dont l’usage administratif est bien ancré non seulement au Liban, mais aussi en Asie du Sud-Est et plus précisément dans les pays actuels du Cambodge, du Laos et du Vietnam, ces trois pays constituant ce qui était autrefois l’Indochine française (1858-1954).
Il y a aussi l’histoire de l’Inde française (1668-1954) dont la capitale était Pondichéry, au sud-est du sous-continent, seule région d’Asie où le français a encore le statut de langue officielle. Par ailleurs, l’histoire coloniale de la France en Asie n’est pas négligeable dans la mesure où elle justifie l’emploi du français comme héritage historique. Si l’on fait abstraction de l’histoire pour se concentrer sur le présent, il faut souligner surtout l’engagement de l’OIF pour la promotion et la diffusion du français, y compris en Asie. Cette organisation rassemble et mobilise 93 États et gouvernements, dont 56 membres de plein droit, 5 membres associés et 32 membres observateurs. Il s’agit d’un dispositif institutionnel voué à promouvoir la langue française et la diversité culturelle et linguistique, ainsi qu’à mettre en œuvre une coopération politique, éducative et économique au sein des États membres. L’Asie compte un bon nombre de pays qui ont adhéré à l’OIF en tant que membres de plein droit, membres associés ou membres observateurs. Les pays asiatiques membres de plein droit de l’OIF sont le Cambodge, le Laos, le Liban et le Vietnam ; les pays membres associés sont les Émirats arabes unis et le Qatar ; les pays membres observateurs sont la Corée du Sud et la Thaïlande. Deux pays transcontinentaux, entre l’Asie et l’Europe, sont eux aussi membres de l’OIF : l’Arménie, membre de plein droit, et la Géorgie, membre observateur.
Pour la francophonie asiatique, lointaine géographiquement tout autant que culturellement des francophonies européenne, américaine et africaine, l’OIF est tout d’abord un lien, ainsi qu’un instrument de solidarité. Elle a aussi des objectifs culturels et politiques qui ont été définis au Sommet de Hanoï, au Vietnam. En effet, lors du 7e Sommet de Hanoï en 1997, l’Organisation se dote d’un secrétaire général pour terminer ainsi sa réorganisation. L’Égyptien Boutros Boutros-Ghali, ancien secrétaire général des Nations unies, assume cette fonction. Il a alors annoncé trois objectifs à atteindre : (1) faire de la Francophonie une institution connue et reconnue sur la scène internationale ; (2) élargir et enrichir le concept de développement économique et social dans l’espace francophone ; (3) faire de la diversité culturelle et du dialogue des cultures un véritable instrument au service du règlement pacifique des conflits et de la promotion d’une culture de paix.
Sackona Phoeurng, secrétaire d’État du ministère de l’Éducation, de la Jeunesse et des Sports du Cambodge, explique que l’Asie est un vaste continent aux multiples langues qui a adopté l’anglais comme langue de communication, mais qui commence de plus en plus à s’orienter vers le multilinguisme. L’emploi de l’anglais, langue des organisations internationales, des affaires et de la mondialisation, s’est répandu d’autant que sa connaissance permet également un accès plus facile au monde du travail pour les jeunes diplômés. Il en résulte qu’elle est enseignée prioritairement dans tous les systèmes éducatifs nationaux. Pourtant, les politiques linguistiques des États et gouvernements changent progressivement. L’apprentissage d’une deuxième, voire d’une troisième langue étrangère est une demande croissante et en même temps une nécessité sociale. C’est ainsi que le français trouve sa place bien méritée en Asie. Le multilinguisme commence à se développer petit à petit, avec l’anglais et le français comme les premières deux langues vivantes étrangères.
Quant à l’avenir du français, selon les estimations de l’OIF, le nombre de francophones devrait tripler d’ici trente ans et la langue de Molière devrait devenir la deuxième ou la troisième langue internationale. Nous compterons ainsi quelque 715 millions de locuteurs en 2050, soit 8 % de la population mondiale, contre 3 % actuellement. 80 millions de personnes pratiqueront le français en Europe et l’Afrique comptera près de 250 millions de locuteurs en français, ce qui représenterait 70 % des francophones dans le monde. Sans surprise, le continent africain est ainsi destiné à devenir l’espace comptant le plus de locuteurs en français. S’il est vrai que le développement du continent africain a toutes les chances de propulser le français à la deuxième place des langues les plus parlées au monde, le rôle de l’Asie ne peut être négligé, surtout en vertu de l’engagement des géantes du continent comme la Chine et l’Inde. C’est surtout le rôle de la jeunesse qui doit être pris en considération puisque les jeunes étudiants considèrent le français comme la langue de leur avenir professionnel. Lors de son discours du 20 mars 2019 – Journée internationale de la Francophonie – devant l’Académie française, le président de la République Emmanuel Macron a déclaré que « le français s’est émancipé de la France, il est devenu cette langue-monde, cette langue-archipel », preuve de la volonté de faire du français une langue internationale.
En guise de conclusion, s’il est vrai que l’emploi effectif du français en Asie est de moins en moins familier même dans les pays de la famille francophone et s’il est tout aussi vrai que l’Asie est le continent où il y a moins de francophones, beaucoup d’efforts sont faits et portent déjà leurs fruits dans de nombreux pays asiatiques. Le français joue un rôle de plus en plus important au sein des gouvernements des pays asiatiques qui collaborent avec la France et l’OIF, en s’appuyant également sur le soutien des Alliances françaises et des Instituts français pour promouvoir et mettre en valeur une langue dont les locuteurs devraient augmenter considérablement à l’avenir. Comme évoqué ci-dessus, c’est presque au centre de gravité des deux géantes du continent, l’Inde et la Chine, que se trouve le berceau historique de la francophonie asiatique : Cambodge, Laos et Vietnam, contigus à une Thaïlande dynamique qui a découvert les avantages du français. La francophonie existe en Asie à n’en pas douter et comme le souligne le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne « on naît de moins en moins francophone, mais on le devient de plus en plus ».