Hamid Zanaz Philosophe de formation. Ex professeur de philosophie à la l’Université d’Alger. Il a quitté l’enseignement pour travailler dans la presse indépendante naissante, dans le but de lutter contre l’instauration d’un État intégriste, quitté le pays quand la kalachnikov a pris le dessus sur la plume. Ses publications en France: L’impasse islamique, la religion contre la vie; Nos voix ne sont pas une honte; D’où vient la violence islamique?, l’islamisme raconté à ma fille; L’islamisme vrai visage de l’islam. En arabe: Réponse franche aux obscurantistes (Beyrouth); Le sens et la colère. Introduction à la philosophie de Cioran (Beyrouth, Alger); Eloge de la raison (Alger); Pourquoi Albert Camus a-t-il choisi sa mère? (Alger). Il a participé à plusieurs livres collectifs traitant de sujets tabous dans le monde dit arabe: Le tabou de la virginitéDarwin et le darwinisme, le racisme anti-noir dans le monde arabe, etc. Son dernier livre: L’Europe face  à l’islam. Une civilisation en péril.

On ne naît pas musulman intégriste, on le devient, hélas, presque sans le savoir. C’est la raison pour laquelle si j’ai le devoir de respecter les hommes, tous les hommes, j’ai le droit de réfuter leurs idées, voire ne pas les respecter du tout. Pour quelles raisons les manuels scolaires en France évitent-t-ils de remettre en cause les croyances dangereuses des parents musulmans et persistent-ils à présenter l’islam comme une religion de paix et de justice, oubliant volontairement la condition inhumaine faite aux femmes, l’hostilité vis-à vis des autres cultures, la dhimmitude (sous-citoyenneté des non musulmans), les punitions corporelles barbares (amputation, lapidation), l’esclavagisme islamique[1]…?

Le coran est vu par les musulmans comme un texte dicté non comme un texte inspiré et cela rend problématique toute interprétation, tout dépassement. Résultats de courses:

Les musulmans n’ont pas une religion : c’est la religion qui, en structurant leur existence, les possède. Sous n’importe quel pouvoir, le musulman s’interroge d’abord sur la forme licite des choses, ensuite sur leur légalité. Musulman d’abord, citoyen après.

Dans ces conditions, il est difficile, sinon impossible d’évoquer la citoyenneté ou la société civile, voire l’État de droit. Pourquoi ? Pour des raisons simples liées à la religion islamique, au dogme islamique lui-même. Car le Coran se présente globalement comme un ensemble d’ordres et de dires : la parole même de Dieu. Une dictée divine, absolue et définitive. Au point que, pour le musulman, il suffit de dire « c’est écrit dans le Coran » et le débat est clos. Ce caractère intouchable du texte coranique rend impossible la tâche du croyant qui voudrait considérer sa religion en tant que simple spiritualité personnelle. L’islam n’est pas seulement une religion mais un système idéologique qui règle les comportements, le Coran étant la source de ce système. Pour espérer obtenir une quelconque séparation entre le clergé et l’État, il faudrait passer par une “désislamisation”. Là réside tout le problème ! Parce que l’islam est une religion sans autorité centrale, qui pourrait avoir une légitimité pour remanier le texte coranique, sinon le réinterpréter pour s’adapter au monde actuel ? Mais qu’est-ce que l’interprétation ? C’est se tendre des milliers de pièges en essayant de les éviter sa vie durant ! Le musulman est donc dans l’incapacité de passer par le mécanisme logique lui permettant d’adapter ses lois à la lumière de l’expérience.

Prisonnier de ses textes sacrés, le musulman semble condamné à mettre le moteur de la dialectique en marche arrière et passer par des acrobaties pour contourner la loi archaïque imposée par sa religion dans la mesure où toute modernisation est vue par la majorité des musulmans comme une trahison de la religion islamique. Illustration de l’impasse : Plus de cinq millions d’Algériens sont privés de toit, mais cela n’empêche pas leur président de lancer un projet pharaonique : la construction, d’ici 2017, de la troisième plus grande mosquée du monde ! Coût estimé à trois milliards de dollars ! Et gare à ceux, très rares, qui s’opposent au projet !

L’islam est trop religieux pour être moderne, la modernité est trop démocratique pour être islamique. Donc deux parallèles qui ne se rencontrent jamais. Et point besoin d’être docteur en islamologie pour comprendre que la liberté, criée sur tous les toits, n’est qu’une triste plaisanterie. « L’essence d’une nation, nous dit Ernest Renan, est que tous les individus aient beaucoup de choses en commun et aussi que tous aient oublié bien des choses faites ensemble. » Les musulmans installés en Europe pourraient-ils oublier la moindre chose, désapprendre au moins les attitudes anachroniques ?

Ce n’est pas ce qui ressort des propos de Fadela Amara, ex ministre de la République française, quand elle fait son marché d’identité : « Ceci, ce trait de la culture française, il n’est pas bon, je ne le retiens pas. Celui-là, au contraire, il me va, il est compatible avec l’idée que je me fais de ma culture islamique d’origine, il m’aide à ma construction de femme – ou d’homme – qui n’est évidemment pas achevée[2].» C’est exactement ce que pense celui que Fadéla Amara considère comme intégriste, Tarek Ramadan : « J’accepte les lois d’un pays tant que ses lois ne m’obligent pas à faire quelque chose contre ma religion » !

Mais la culture dont parle Fadela Amara s’oppose, elle aussi, aux fondements de la modernité : la liberté, l’égalité des sexes, la liberté de créer, la séparation entre le temporel et le spirituel… Dans un hadith, le prophète déclarait qu’« un ange n’entrerait jamais dans une pièce où seraient exposées des images ». Que faire alors si un musulman est choqué (ou, comme dit Fadela, si « ça lui va pas ») par les chefs-d’œuvre du domaine pictural, sculptural ou littéraire? Doit-on brûler les livres blasphématoires de Voltaire? Voiler la Joconde ? Détruire Notre-Dame ? Une identité est-elle un choix d’adhésion à une culture ou un simple lien de sang, une filiation ?

Interrogé, un jeune beur apportait une réponse sans équivoque : « L’identité, pour nous,  elle est religieuse, les racines c’est important mais pas essentiel» C’est ainsi que le célèbre “droit à la différence” se pervertit petit à petit pour se muer en ” différence de droits” quand les circonstances deviennent favorables. Avec l’islam, la collision entre le Moi ethnique et le Surmoi républicain ou moderne  est inévitable. Tout est lié en islam. Tout tourne autour du dogme de la vénération d’Allah. La religion encadre toute l’existence. Un musulman ne peut pas être un croyant à mi-temps, il est croyant à temps plein : un croyant intégral. Son dogme est considéré comme incontestable et jamais il ne lâche rien. Le Coran, , est très clair sur ce point:

« Lorsqu’on vous a dit : Élancez-vous dans le chemin de Dieu, vous vous êtes appesantis sur la terre. Préférez-vous la vie de ce monde à la vie future ? » (Coran 9 :38 ) ou encore : « Le monde, dit son prophète, est la prison des croyants et le paradis des infidèles. » Pour Hassan Al Banna, fondateur de la secte des Frères musulmans et grand père de Tarek Ramadan, la mort est « un art. Le Coran a ordonné d’aimer la mort plus que la vie. La victoire ne peut venir que si l’on maîtrise l’art de la mort. Celui qui meurt sans s’être battu ni avoir été résolu à se battre est mort d’une mort de Jahiliyya[3]. »

Selon l’idéologie islamique, aucun mode de vie n’est valable ou ne mérite d’être expérimenté, hormis celui défini par le Coran. Et donc même si tous les problèmes étaient résolus, l’intégrisme demeurerait. L’islam des Lumières tant attendu, tant désiré, cet islam rêvé est un ” impossible”. Il ne fait que détourner les jeunes des valeurs universelles, les attirer davantage vers l’islam, puis vers le fondamentalisme, enfin le terrorisme. Aucun espoir de changement à moins d’abattre tout le système. Mais les musulmans d’Europe pratiquent une démarche inverse en exploitant le multiculturalisme ambiant pour réclamer que les pays hôtes s’adaptent à leurs exigences religieuses. Le prix Nobel de littérature Naipaul ne comprenait pas le « racket multiculturel où le descendant d’immigrant réclame droits et protection sans manifester un minimum d’empathie pour son pays d’adoption[4] » ? Mais quel genre d’empathie peut-on espérer quand on tolère l’intolérable ? Dans son livre en arabe, De la division de la terre selon le fikh islamique, un membre du Conseil européen de la fatwa et de la recherche, situé à Dublin, Abdallah B., écrivait, dans le chapitre consacré au djihad : « Faites le djihad contre les mécréants par votre parole, vos personnes, vos biens, et vos mains[5]. » Ne voilà-t-il pas un bon conseil d’intégration adressé aux jeunes d’origine musulmane en Europe!

Tous les musulmans sincères qui ne pratiquent pas la dissimulation, la taqiya, prônent l’application, voire l’imposition de la charia par la force. Ils considèrent les non musulmans comme des égarés qu’il faut ramener à la vraie religion: l’islam.

Chaque musulman, où qu’il se trouve, en vient un jour ou l’autre à poser des questions aux politiques telles que : Allah m’a autorisé à prendre quatre femmes, pourquoi me l’interdisez-vous ? Pourquoi n’appliquez-vous pas le droit pénal islamique coranique, au moins dans les territoires où se concentrent les musulmans[6] ?

L’islam porte en son sein le refus de la laïcité. D’ailleurs l’expression « Islam politique » est un parfait pléonasme parce qu’en islam, il n’y a pas de séparation entre l’orthodoxie (ce qu’il faut croire) et l’orthopraxie (ce qu’il faut faire). La loi et la foi sont les deux faces d’une même pièce. Pourtant, de nombreux “scientifiques musulmans” succombent aux mythes, leur esprit supposé critique semblant sans aucune incidence sur leur conception du monde : si les faits donnent tort à la charia ou contredisent les ‘vérités’ islamiques, pour eux, c’est la réalité qui est fausse, pas la charia !

Un bon musulman se sent coupable de ne pas avoir réussi à instaurer l’État islamique, que ce soit par la persuasion ou par la force. Cet idéal, ce but ultime s’appuient sur sa fierté de musulman. Il est fier de ce qu’il est, non de ce qu’il fait. Au lieu d’être ce qu’il va devenir, il veut être ce qu’il a été. Il découle, de ce blocage, une attitude dichotomique et, s’il accepte la modernité technique, il rejette sa métaphysique. Et ainsi il vit un développement sans progrès car il reste collé au sacré : l’interdit, le hallal, le paradis, l’enfer, les supplices de la tombe… Chez lui, la pureté et la peur l’emportent sur le processus de liberté. Mais, comme il se sent coupable de ne pas faire avancer la cause de l’islam qui est de propager la loi d’Allah partout dans le monde, il est en conflit avec lui-même.

Cette culpabilité intrinsèque ronge tout musulman qui souffre d’un « manque-à-être » flagrant dans un monde, pas encore complètement islamisé, qui fait de lui une conscience malheureuse ! Vivant dans le cadre d’une culture ouverte et dans une société sécularisée, en même temps qu’il plonge dans une culture islamique archaïque fermée, il souffre d’une instabilité tragique. C’est cette citoyenneté ambiguë qui le rend inassimilable. La pratique religieuse n’a rien à voir avec une quelconque spiritualité, elle est le résultat de la pression communautaire, un défouloir dérivatif. Le communautarisme islamique isolationniste est un hypermarché du « prêt-à-ne pas penser » C’est pourquoi, il est très difficile de rencontrer aujourd’hui un croyant musulman épanoui car il est écrasé sous le poids d’un Léviathan : le fikh, le droit canon musulman, son seul GPS dans la vie. La foi en islam ne s’accompagne d’aucune paix intérieure. Le musulman est un combattant qui pourfend le mal, c’est-à-dire tout ce qui est contraire à l’esprit de sa religion. Il est en guerre permanente contre le monde non islamique. Son but ultime dans la vie : voir l’islam triompher, imposer sa loi partout, gouverner l’humanité ! Pour lui, la législation occidentale est un blasphème car elle vise à se substituer à la loi d’Allah, la charia. C’est le résultat logique de son conditionnement mental dans sa famille dès son plus jeune âge.

L’intégrisme activiste récolte les fruits de cette socialisation islamique ordinaire qui lui fournit des êtres préparés à obéir aveuglement aux préceptes de l’islam. Quand l’élève est prêt, dit-on, le maître arrive qui n’a qu’à montrer le chemin du paradis. Exploiter ce que familles, mosquées, collèges et lycées islamiques, tv satellitaires coraniques et centres cultuels (dits culturels) islamiques ont semé dans l’esprit du jeune musulman vivant en Occident. La rapide évolution de la société complique davantage la vie du musulman obsédé par la « licéité » de toute chose. Pour être de son temps sans jeter aux orties son identité culturelle, sa réflexion se limite à trouver des réponses posées par la nouveauté : l’islam prohibe-t-il ceci, tolère-t-il cela, désapprouve-t-il ou recommande-t-il telle ou telle chose, telle ou telle innovation, telle ou telle mode ?… Une vie colonisée, alourdie par le mythe de son passé supposé glorieux. C’est pourquoi les adeptes de l’islam se définissent comme « musulmans en Europe » plus que comme « musulmans européens » L’être-au-monde-islamique ne porte-t-il pas la guerre et le « choc de civilisations » comme les nuages portent la pluie ? La pression commence à donner ses fruits : l’archevêque de Canterbury, chef spirituel de l’Église d’Angleterre, ne jugeait-il pas inévitable la mise en œuvre de la charia en Grande-Bretagne ?

La tâche des intellectuels musulmans est immense. Il s’agit de saper une fausse idée fortement ancrée dans l’inconscient de la majorité des musulmans. Idée selon laquelle leur malaise serait dû à l’abandon de leurs normes fondatrices et que, seul, le retour intégral à ces normes islamiques oubliées leur garantirait un avenir meilleur et une gloire assurée… Les musulmans se détacheront-ils un jour de la marja’iyya islamiya, la référence islamique, ou pataugeront-ils éternellement dans une « autoréférentialité » isolationniste d’abord, guerrière ensuite ? L’intellectuel doit-il aider les masses à sortir de la servitude volontaire ou les conforter dans leurs convictions dangereuses ? Doit-il approcher l’islam de l’intérieur, selon une démarche religieuse conforme à ce qu’il dit de lui-même ou l’approcher de l’extérieur par le biais des sciences sociales qui, seules, permettent de voir objectivement comment le Coran a été constitué, quelles sont ses sources, ses influences, ses réécritures…?

Note:

[1] Les murs invisibles, le racisme anti-noir en terre d’islam, Collectif, Petra et Ligue des rationalistes arabes, 2009.

[2] Albert Jacquard, Fadela Amara, Jamais soumis, jamais soumise, Stock, 2007.

[3] Le mot désigne la période avant l’islam, vue par les musulmans comme une période barbare.

[4] Le Monde du 31/10/2006.

[5] In Hamadi Redissi, La tragédie de l’islam moderne, Seuil, 2011, p. 144.

[6] Lire: Banlieue de la République, de Kepel G., Lyla A., Sarah Z., Institut Montaigne.

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