Hamid Zanaz Philosophe de formation. Ex professeur de philosophie à la l’Université d’Alger. Il a quitté l’enseignement pour travailler dans la presse indépendante naissante, dans le but de lutter contre l’instauration d’un État intégriste, quitté le pays quand la kalachnikov a pris le dessus sur la plume. Ses publications en France: L’impasse islamique, la religion contre la vie; Nos voix ne sont pas une honte; D’où vient la violence islamique?, l’islamisme raconté à ma fille; L’islamisme vrai visage de l’islam. En arabe: Réponse franche aux obscurantistes (Beyrouth); Le sens et la colère. Introduction à la philosophie de Cioran (Beyrouth, Alger); Eloge de la raison (Alger); Pourquoi Albert Camus a-t-il choisi sa mère? (Alger). Il a participé à plusieurs livres collectifs traitant de sujets tabous dans le monde dit arabe: Le tabou de la virginité; Darwin et le darwinisme, le racisme anti-noir dans le monde arabe, etc. Son dernier livre: L’Europe face à l’islam. Une civilisation en péril.
Séparer le religieux du profane, élire librement ses représentants, disposer de la liberté de conscience, en un mot être libre, ne relèvent plus aujourd’hui de la culture d’un pays particulier mais constituent des principes universels. Des valeurs transnationales en quelque sorte. Quel aurait été, par exemple, le destin de la Tunisie si le président Bourguiba n’avait pas pris l’initiative de faire bouger les choses dès l’Indépendance? Il a eu le courage d’affronter la réalité et n’a pas attendu l’évolution des mentalités pour abolir les tribunaux religieux et transférer leurs compétences aux tribunaux modernes. Le 13 juillet 1956, juste après l’Indépendance, il a promulgué le code du statut personnel qui a supprimé la polygamie, interdit la répudiation, instauré le divorce judiciaire.
Preuve que ces dispositions existaient avant ce qu’on appelle aujourd’hui les islamistes. C’est pour cette raison que toute polémique avec les fondamentalistes est inutile. Je suis d’ailleurs tout à fait d’accord avec eux quand ils avancent que l’islam n’a rien à voir avec la démocratie, la modernité, les droits de l’homme et toute la philosophie politique d’aujourd’hui. Ils sont dans le vrai quand ils prêchent que l’islam est incompatible avec la vie moderne. En revanche, je discute les thèses des réformistes, ceux qui essayent de vendre un ‘islam modéré’ en classant dans la case islamique, ce qui les arrange dans l’islam et, dans la case intégrisme, ce qui les dérange, comme le djihad, le Niqab, la polygamie, la lapidation.
Ces réformistes sont d’autant plus dangereux qu’ils répandent l’illusion d’une différence intrinsèque entre un islam soft et un islam hard. Répétons-le : l’intégrisme est le fils légitime de l’islam, on ne peut le réformer sans toucher à quelque chose de fondamental dans cette religion. Un islam réformé, c’est la fin de l’islam. Qui, parmi les musulmans modérés, oserait appeler à abroger les versets hostiles aux juifs, aux athées et aux chrétiens ? Et tant d’autres qui n’ont rien de sensé aujourd’hui…
Dire que l’intégrisme est une déviation de l’islam et que les islamistes n’ont pas compris l’islam n’a pas de sens. L’islam n’est rien d’autre que la «passéification» du présent. Le musulman actuel n’est animé que par une perpétuelle volonté de revenir à l’islam premier , l’islam des origines.
Par leurs analyses apologétiques et surréalistes de l’islam, les «nouveaux penseurs de l’islam», comme les nomme une certaine presse française, trompent la vigilance laïque des Occidentaux et confortent les musulmans dans leur sommeil dogmatique.
Nous sommes loin de la sécularisation, et l’islamisation, pour ne pas dire la “barbarisation”, est bien en marche, les masses exigeant l’application de la charia! Le parlement koweïtien n’a-t-il pas repoussé pendant sept ans une loi permettant aux femmes de participer aux élections, loi pourtant proposée par le gouvernement! Aujourd’hui, en France, mais aussi dans l’Europe tout entière, l’islamisme avance à visage découvert. L’activisme musulman s’est greffé, c’est vrai, sur le terreau du chômage, des discriminations à l’emploi et au logement qui touchent plus particulièrement la population des banlieues, mais il se serait développé de toutes façons. Les banlieues sont un lieu idéal pour les fanatiques, il n’est qu’à voir la multiplication des salles de prières, comme le développement ostentatoire de la pratique de l’islam: port du foulard, barbes, marque de prière au front, changement du langage, conversion des non musulmans, sans parler des marques de prière au front, changement du langage, conversion des non musulmans, sans parler du voile qui gagne sans cesse du terrain…ile qui gagne sans cesse du terrain…
Il est inadmissible qu’un croyant qui peut pratiquer en France sa religion en toute liberté remette en cause la laïcité. Mais, rétorquent fidèles et bien-pensants, en quoi certaines manifestations, comme le jeûne du ramadan, peuvent- elles déranger la société laïque? Voici, en réponse, quelques observations touchant à ce problème : Le jeûne est-il bénéfique à la santé? Se lever en pleine nuit et faire le plein de nourriture pour ne pas avoir trop faim durant la journée, et revenir dormir, en un mot ce souhour est-il valable diététiquement? Laisse toute autre considération à part et réponds-moi sincèrement en tant que professionnel de la santé, ai-je lancé à un ami médecin. Avec un sourire malicieux aux lèvres, sa réponse vint résumer parfaitement la conception de tous les jeûneurs musulmans: le jeûne est une obligation islamique et cela suffit. Même les pays, où vivent encore des dizaines de milliers de non musulmans, se transforment alors en «Ramdanistan».
Comment pourrait-on revendiquer une démocratie politique tout en refusant catégoriquement la diversité dans les domaines de la pensée et des croyances? Comment peut-on aménager des horaires de travail pour les jeûneurs et tout réorganiser pour eux durant ce mois sans aucune considération pour les non-jeûneurs? Y a-t-il une seule autorité arabe qui ne criminalise pas les dé-jeûneurs? Y a t-il un seul gouvernement qui ne se considère pas comme tuteur exclusif de la vie métaphysique de ses sujets?
Quand les petites gens cesseront-ils à leur tour de mettre leur nez dans les affaires philosophiques des autres ? D’être en alerte pour détecter des odeurs de nourriture provoquées par un quelconque dé-jeûneur barricadé dans son appartement ou son bureau? De débusquer un infidèle dégustant un café maure?
À l’inverse, ceux qui ne jeûnent pas ou, plus exactement, ceux qui n’ont rien à voir avec cette pratique irrationnelle, se voient chaque année condamnés à vivre dans la clandestinité, à la manière dont vivaient les militants démocrates durant les heures les plus sombres du nationalisme et du socialisme arabes. Comme chaque année, des portes seront défoncées par des fanatiques à la recherche de dé-jeûneurs cachés. Et, à l’instar des opposants politiques, les dé-jeûneurs soupçonnés de vouloir porter atteinte à la sécurité de l’État seront inculpés d’un crime : celui de menacer la société islamique et ses fondements.
La foi islamique est une idéologie totalitaire qui constitue un obstacle sérieux devant la transformation naturelle des groupements humains en société. Elle pousse les hommes et les femmes à devenir un troupeau, pour ne pas dire des esclaves volontaires, élevant la servitude volontaire au rang de vertu capitale. D’où l’uniformisation qui frappe les ensembles humains islamiques: ni individualité, ni autonomie, ni liberté. La religion en général, et l’islam en particulier, sont la négation absolue de toute autonomie subjective. Si, dans un passé récent, on remarquait les intégristes, aujourd’hui, on remarque ceux qui ne le sont pas. Mais quand tout le monde est intégriste, il n’y a plus d’intégristes. Du moins, pour les myopes volontaires. Est donc risible la situation des modernistes qui craignent l’instauration d’un “État théocratique islamique” dans le monde arabe. Ces pauvres aveugles militent pour que n’advienne pas ce qui est déjà advenu depuis belle lurette. Ils ne combattent que les mots, ne voyant pas qu’ils plongent jusqu’au cou dans l’État islamique et la charia. Ils n’ont pas peur du vide islamique, ils y sont. L’islamisation procède de plusieurs manières. C’est ainsi que toutes les filles ne choisissent pas le voile, pas plus que les garçons ne découvrent la spiritualité spontanément. Parfois ils ne sont que des victimes soumis aux pressions de leurs proches, aux regards de la famille, des amis, des voisins, sans oublier les menaces éventuelles qui savent convaincre les réticents ou les indécis pour les mettre sous la coupe des idéologues islamistes, voire adhérer à un projet politique totalitaire.
En islam, on n’a jamais conçu la religion comme un domaine distinct des autres formes d’activité sociale mais comme un système total façonné dès son origine par une relation particulière au sacré. En islam, il n’y a pas un domaine du sacré autonome, tout tourne autour du sacré. C’est dire qu’il n’y a pas de culte puisque tout est culte en islam. Dans les Religions meurtrières, Élie Barnavi résumait bien le problème de l’islam quand il écrivait: «Ici pas d’État qui précède la religion, comme dans le christianisme, mais une religion qui invente l’État pour en faire sa chose, et se confond avec lui! [1]»
Si, selon l’adage, il n’y a pas d’erreur, seulement des leçons, ici il n’y a que des erreurs, jamais de leçons! Un monde schizophrène. Aucune religion intégralement «révélée» n’est compatible avec la modernité; ce sont deux visions contradictoires du monde et de l’homme, inconciliables par essence. C’est une perte de temps que de chercher un quelconque mariage entre les deux. Le résultat: une crise d’identité grandissante car la personnalité du musulman d’aujourd’hui est éclatée en deux : une moitié au passé, qui croit, prie, psalmodie, jeûne… l’autre moitié qui tente de vivre dans le présent en adoptant tous les éléments matériels de la modernité, mais en rejetant catégoriquement ses aspects philosophiques et juridiques. Et comme rien ne vient de l’islam, mais tout de l’extérieur de son territoire, cela fragilise le musulman. Il se sent agressé, bafoué, humilié. Et ainsi ni individus ni États ne trouvent la voie pour «être là dans le monde».
C’est automatique: quand on n’a pas la clé de sa modernité, on est tributaire du «mot de passe» de sa religion. Les musulmsns sont tributaires de l’islam et, comme le poisson rouge, ils peinent à sortir du bocal, pour utiliser la métaphore de Michel Foucault. Le musulman vit de plus en plus dans une sorte de crise d’identité aiguë, torturé par deux questions: sait-il qui il est dans ce monde moderne, et, plus important encore, pourrait-il un jour rompre avec ce coma profond qui dure déjà depuis huit siècles?
La civilisation arabo-islamique, dans sa richesse et son ouverture, s’est éteinte pratiquement au XIIIe siècle. Mais, en dépit de tout ce temps gâché, le musulman en général, l’Arabe en particulier, n’a jamais réussi à faire le deuil de sa civilisation. De la résulte le patinage de la société arabe : le dilemme de l’islam arabe se résume dans l’inapplicabilité de la charia islamique à 100%, et l’incapacité à l’écarter une bonne fois pour toutes. Alors les régimes en place troquent la réislamisation de la société contre le verrouillage du pouvoir et les avantages de sa rente. Cela donne des sociétés déboussolées, des États en délicatesse avec leurs ‘citoyens’, des États affaiblis qui utilisent la réislamisation comme béquille identitaire. En l’absence de toute légitimité politique, il ne reste à ces gouvernants que l’exploitation de la religion islamique pour acculer l’opposition non religieuse et canaliser les révoltes populaires. Pas de citoyen, pas de société civile, priez! Il n’y a rien à négocier. Les gouvernants dans les pays arabo-musulmans semblent guider une communauté de croyants ou un ensemble de croyants. Et ce n’est pas pour rien si ces sociétés prennent ouvertement une allure médiévale.
Les constitutions, quand elles existent, se réfèrent toutes, rappelons-le , explicitement, à la religion islamique. La charia ou la loi coranique est la principale, voire l’unique source de droit. Et le choix est clair et rapidement tranché au cas où le droit positif entre en conflit avec cette charia: les juges appliquent toujours la loi divine. Même dans les pays ou les régions où vivent des non musulmans. L’intégrisme, dans ce monde arabe, n’est pas un substitut à l’État, il est l’État. À la fin des années 1970, le président Anouar el Sadate fit inscrire dans la constitution égyptienne la charia comme source principale du droit malgré la présence de plus de six millions de chrétiens coptes (certaines sources parlent de quinze millions).
Ce n’est qu’un exemple, mais la situation reste toujours à peu près la même, car les textes juridiques dans tous les pays arabes sont éloquents : ils renvoient au Fikh (droit canon musulman), à la charia ou à l’ijtihad (réinterprétation des textes religieux dans le but de les actualiser) comme source du droit de la famille. Les islamistes font tout pour instaurer un État islamique là où on ne pratique pas encore la charia d’une manière absolue. En général, ce n’est pas à l’État islamique vague qu’ils aspirent, mais à un État barbare totalement purgé de toute liberté individuelle. Un État à la saoudienne, à l’iranienne, à la talibane. D’ailleurs, fait significatif, quand les talibans se sont emparés du pouvoir en Afghanistan en 1996, ils ont été immédiatement reconnus par l’Arabie saoudite et le Pakistan. Et immédiatement, Ils ont accouché d’un État barbare où l’on déshumanise les hommes et surtout les femmes.. Mais suffit-il de dénoncer le fanatisme religieux islamique en Europe et ailleurs? Sans doute, est-il utile de dénoncer la barbarie islamiste talibane et les autres intégrismes, mais c’est insuffisant si l’on ne remet pas en cause le corpus lui-même, considéré comme sacré par ces mêmes terroristes, corpus dont la validité est perçue comme éternelle par tous les musulmans. .
Note:
[1] Flammarion, Paris 2006, p 22.
[2] Les murs invisibles, le racisme anti-noir en terre d’islam, Collectif, Petra et Ligue des rationalistes arabes, 2009.